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Non, la courbe X n’est pas réservée aux films X !

La courbe X est une courbe de référence qui situe la réponse d'un système de sonorisation en vue d’obtenir une réponse acoustique équilibrée dans les salles de cinéma. Elle est définie par les normes ISO 2969 et ANSI/SMPTE 202M. Son nom vient de l’anglais Extended Curve, par opposition à la norme précédente qui préconisait une bande de fréquences plus restreinte.

 

Constat

La réponse électroacoustique d'un haut-parleur situé derrière un écran de cinéma est affectée par divers facteurs avant que le son soit perçu par les spectateurs. Tous les utilisateurs expérimentés ont remarqué que dans une salle, un son statique émis par une enceinte à proximité s’accorde mieux avec une enceinte distante quand la courbe de réponse de cette dernière est infléchie vers le bas à partir du haut médium.

L’explication de ce phénomène réside dans l’interaction entre la distance de la source sonore, les réflexions sur les parois de la salle et le mécanisme de notre appareil audio sensoriel.
Inconsciemment, nous savons concentrer notre attention sur le signal utile en mettant la réverbération de coté. Cette faculté est liée à la détection du décalage spatial et temporel entre le signal direct et les réflexions. Le volume de la boîte crânienne, la forme du pavillon, la longueur du canal auriculaire, l’audition binaurale et certainement plusieurs facteurs psychologiques agissent ensemble sur la perception que nous avons d’une source proche ou éloignée en fonction des réflexions environnantes.

On peut alors se demander pourquoi le son est trop brillant alors que la réponse est linéaire sur l’analyseur. Ceci vient de la mauvaise interprétation que nous avons de la lecture d’un analyseur en temps réel. Il faut savoir que la réponse lue sur l’analyseur à partir d’un bruit rose dans une salle réverbérante est assez différente de celle obtenue avec le balayage d’un signal sinusoïdal dans une chambre anéchoïde. De surcroît, la réponse lue avec le bruit rose varie en fonction du volume et de la géométrie de la salle indépendamment de la sensation perçue par l’auditeur.

Quand on configure un grand volume avec une réponse droite sur l’analyseur, la somme du signal direct et du signal réverbéré n’est pas lue à son niveau réel. Le résultat produit un son brillant, souvent agressif. Le besoin d’atténuer les aiguës d’une source lointaine pour se rapprocher de l’image spectrale d’une source plus proche est ressenti naturellement.

Evolution dans le temps d’un bruit rose quand le système est aligné pour lire une réponse droite sur l’écran de l’analyseur. Courbe bleue : signal statique, courbe rouge, son bref ou début du signal.
La courbe rouge correspond au signal perçu, même en régime établi.

Evolution dans le temps d’un bruit rose dans une salle réverbérante tel qu’il apparaît sur l’écran de l’analyseur quand le système est aligné selon la courbe X.
Courbe bleue: signal lu, courbe rouge: signal perçu, même en régime établi.

Autrement dit, nous n’entendons pas de la même manière que le micro de mesure d’un analyseur. Si on prend l’oreille comme référence, l’analyseur donne une réponse fausse. Par contre, le même analyseur donnera une réponse juste en champ libre c'est-à-dire dans un espace sans réverbération ou/et avec une source rapprochée.

L’influence de la réverbération

Les salles de cinéma ne sont pas complètement mattes. Le confort de l’écoute veut que les sons s’y réfléchissent sur les parois, préservant ainsi un certain taux de réverbération. La durée de la réverbération est fonction du chemin total parcouru par les réflexions. Dans une petite salle, la distance qui sépare deux réflexions est plus courte que dans une grande. Pour une même distance parcourue, les réflexions y seront donc plus nombreuses.
A chaque impact sur les parois, le son perd une partie de son énergie. Or, les matériaux qui habillent les salles et les pièces d’habitation absorbent davantage les hautes fréquences que les basses, à commencer par les spectateurs eux-mêmes. A durée égale, la réverbération sera donc plus sourde dans une petite pièce que dans une grande.

Un sujet de discussion récurrent est que la courbe X concerne la manière dont les sons continus sont perçus dans un milieu réverbérant, sans trop ;se soucier des sons brefs et des signaux transitoires, généralement plus nombreux donc mieux représentatifs de la bande son d’un film.

Quand un son est assez long, c'est-à-dire d’une durée supérieure à l’établissement du champ réverbéré (~20-50ms), à la fois le signal direct et le signal réverbéré sont captés ensemble par l’analyseur, qui contrairement à l’oreille, ne sait pas faire la distinction entre les deux. Aux fréquences basses, ça ne pose pas trop de problème car les signaux direct et réfléchi sont à peu près en phase. Aux fréquences supérieures, le décalage temporel entre le signal direct et le faisceau de réflexions introduit des interférences dites « destructives » car elles creusent la réponse lue sur l’analyseur. L’atténuation des aiguës, visible à l’écran, n’est pas perçue par l’auditeur. Si on compense la courbe en égalisant pour lire une réponse droite sur l’écran, on exagère le niveau des hautes fréquences.

Remarques:
a) Pour que la mesure soit valide, le champ réverbéré doit être établi. Elle ne peut se faire qu’avec un signal stable d’une durée supérieure au temps d’établissement.

b) Pourquoi la courbe lue sur l'analyseur remonte dans le grave et descend dans les aiguës ?
Parce que les fréquences basses ont des longueurs d'onde bien plus grandes que le retard des réflexions. Le signal direct et réfléchi sont pratiquement en phase et leurs amplitudes respectives d'ajoutent.

L’oreille ne souffre pas de ces interférences car notre cerveau gère séparément le signal direct et le signal réfléchi quand ceux-ci sont suffisamment espacés, ce qui est plus fréquemment le cas dans une grande salle.

En revanche, la lecture des sons brefs est peu affectée par la réverbération car leur durée est souvent plus courte que le temps d’établissement de cette dernière. La bande son d’un film contient en moyenne 80% de dialogues. Les phonèmes formés par les consonnes dures d, t ou p sont si brefs qu’ils ont déjà disparu quand les réflexions se manifestent.
En théorie, si on calibre une salle à partir d’un bruit rose en suivant la courbe X et qu’on mesure à nouveau avec un signal très bref (une impulsion de Dirac), on doit trouver une ligne droite.

En somme, la courbe X est un leurre. Elle ne taille pas dans l’aigu, elle permet au contraire d’obtenir une réponse droite à l’écoute en mesurant un bruit rose perturbé par la réverbération.

A l’influence de la réverbération, s’ajoutent d’autres facteurs :

1 - L’absorption de l’air

L’air sec absorbe l’énergie sonore, davantage les hautes fréquences que les basses. A 10kHz et 20% d’humidité relative, le son perd 4 dB tous les 20 mètres. On l’observe en plein air et dans les grandes salles où la distance entre la source et l’auditeur est plus grande que dans une pièce d’habitation. Le constat est encore plus frappant avec le signal réverbéré qui parcourt un chemin plus long. Un temps de réverbération de 0,5 seconde représente un parcours de 170 mètres !
Par exemple, dans une salle de 800m3 dont les surfaces ont un coefficient d’absorption moyen de 0,2 la réverbération à 8 kHz sera de 1,16 seconde sans tenir compte de l’absorption de l’air et 0,74 s en en tenant compte. A 1000 Hz, l’écart n’est plus que de 0,02 seconde.
Notons que ce phénomène qui atténue la réverbération des aiguës, s’oppose à celui décrit dans le paragraphe précédent.

2- La distance relative des enceintes

Dans une salle rectangulaire, la majorité des spectateurs sera plus proche des enceintes surround que de la façade. Par conséquent, le ratio champ direct/champ réverbéré sera plus élevé dans cette zone. En outre, l'angle de dispersion des enceintes de façade et celui des surrounds ne sont pas identiques. Les enceintes de façade apparaissent comme des sources ponctuelles alors que les ambiances sont organisées en réseau pour former un champ diffus. 
Dans une salle un peu trop réverbérante, on peut améliorer la fusion entre la façade est les ambiances en ajoutant une légère brillance. La méthode consiste à conserver une pente constante et à déplacer la fréquence de coupure de 2kHz vers 4kHz ou même davantage quand le spectateur est plus près des ambiances que de la façade. 

3- L’atténuation des hautes fréquences causée par l'écran (extrait de la norme SMPTE 202M)

Un écran transonore en PVC perforé retient une partie de l’énergie. Cette fraction augmente avec l’élévation de la fréquence. L'atténuation typique dans l'axe est de 3 dB entre 5 et 8 kHz, avec une perte caractéristique de 6 dB/octave au-delà de cette fréquence. La perte est légèrement moindre en dehors de l’axe. L’atténuation est accentuée sur les écrans repeints où le colmatage des perforations peut sévèrement dégrader les performances aux fréquences supérieures à 8kHz.

D’autres phénomènes liées aux écrans perforés tels le filtrage en peigne et la dispersion lenticulaire sortent du cadre de cette discussion et ne seront pas traités ici.

4- L’agressivité du son dans un home cinéma : la distorsion

Les équipements proposés pour les home-cinémas ne répondent pas toujours aux exigences requises pour écouter un film dans des conditions optimales. Reproduire 105dBC à 4 mètres d’une enceinte sans distorsion, n’est pas donné à tous les systèmes. La distorsion de l’amplificateur génère des harmoniques qui élèvent le niveau global des hautes fréquences dans des proportions non négligeables. Ainsi, un programme sonore équilibré à bas niveau deviendra strident à niveau élevé.

Quelle courbe X ?

La courbe X telle qu’elle est définie par la norme a été établie pour une salle de 500 places ou 4000m3. Mais la distance d’écoute et la réverbération étant fonction du volume de la salle, la courbe X n’est pas une donnée fixe. Les points d’inflexion et les pentes de la courbe changent suivant le volume de la salle, allant d’une réponse quasi linéaire pour un petit HC à une atténuation prononcée pour une grande salle. 
La pente varie avec la réverbération depuis de 2dB/octave pour une petite salle jusqu’à 4dB/octave pour une grande. La norme fournit des indications à ce sujet en publiant un tableau pour guider l’utilisateur. L’ajustement n’est généralement pas nécessaire en dessous de 2 kHz car le temps de réverbération est plus stable entre 200Hz et 2kHz.
La courbe X s’adresse uniquement aux salles de cinéma et aux studios de mixage cinéma d’un volume supérieur à 150 m3. Pour les salles plus petites, il existe la « small room X curve ». La pente est réduite à 1,5dB/octave et la fréquence de coupure est plus élevée. 

D’autres facteurs tels l’humidité de l’air, la directivité des enceintes et la transparence acoustique de l’écran viennent modifier les caractéristiques de la courbe optimale pour une salle donnée.

La courbe X: pourquoi faire ?

Même si la formule peut sembler réductrice, n'oublions pas que le but à atteindre est n'est pas de reproduire les sons comme ils sont dans la nature ou comme ils ont été enregistrés mais de les d'entendre comme le réalisateur les a voulus et entendus dans l'auditorium de mixage.

La courbe X s’applique à la correction de l’écoute de la chaine B uniquement. Elle n’est pas enregistrée sur la bande sonore d’un film, ni à l’enregistrement ni pendant le mixage. Elle n’est pas faite pour que l’ingénieur rajoute des aiguës. Il serait stupide et contre-productif de vouloir la compenser lors du mastering d’un DVD ou BD car elle n’est pas présente sur le programme original.
Elle ne s’applique pas aux studios à régie séparée, ni aux studios de mixage TV car la réverbération courte et la distance d’écoute réduite la rendent inapplicable.

Mesurages

La courbe X se mesure enceinte par enceinte avec 4 ou 8 micros multiplexés, répartis dans la salle. Le multiplexage séquentiel établit une moyenne spatiale (et non une somme) indispensable pour s’affranchir des résonances localisées et pour espérer une mesure reproductible par un autre opérateur avec un autre matériel. Comme pour toutes les techniques qui impliquent l’intervention humaine, l’interprétation des résultats peut être source d’erreur. La synthèse de tous les éléments peut parfois s’avérer complexe. Elle demande de l’expérience.

Calibrage

La tentation de corriger les défauts de la salle par l’égalisation électronique est grande. Attention à ne pas tomber dans le piège. Les irrégularités d’une courbe de réponse sont la conséquence de réflexions non maîtrisées. Par définition, les réflexions arrivent toujours après le signal direct. Elles appartiennent au domaine temporel. Tous les techniciens avisés savent qu’une correction d’amplitude ne pourra jamais compenser un écart temporel. Même avec un super DSP de dernière génération !

D’autre part, l’ancienneté de la courbe X ne signifie pas qu’il faille nécessairement employer un égaliseur analogique. Aujourd’hui, les DSP existent avec leur lot d’avantages et d’inconvénients. Par contre, il n’existe pas encore d’égaliseur automatique qui sache interpréter de manière fiable ce qu’un groupe de spectateurs doit entendre.
L’égaliseur paramétrique a des capacités bien supérieures à celles d’un égaliseur par tiers d’octave, personne n’en doute. Cependant, les DSP professionnels qui intègrent la courbe X possèdent encore un égaliseur par tiers d’octave car la majorité des techniciens préfère cet outil qui offre des résultats davantage reproductibles.

Enfin, n’oublions pas qu’une enceinte linéaire dans une salle convenablement traitée sonnera toujours mieux qu’un système bancale qui demande une tonne de correction pour entrer dans la courbe.

Obsolète ?

Comme pour toute avancée technologique, la courbe X a ses partisans et ses détracteurs. Certains la considèrent comme une méthode archaïque et inadaptée. J’écoute leurs arguments et certains sont justifiés.
L’ennui c’est que personne à ce jour n’a su proposer une autre méthode qui permettrait de lire avec exactitude le son effectivement perçu par un auditeur situé dans le champ réverbéré.
Si la méthode du signal statique (1/3 d’octave ou FFT) perdure, c’est parce qu’elle génère malgré tout moins d’erreurs que les autres, notamment à cause du temps d’intégration de l’oreille beaucoup plus long aux basses fréquences que pour les aiguës.

La courbe X pondère les écarts de réponse acoustique des salles en considérant les facteurs décrits ci-dessus. Adoptée par l’ensemble des salles et des studios, elle représente un standard d’écoute qui offre la constance et l’interchangeabilité d’un programme sonore entre les salles, dans le monde entier. Elle est révisée et mise à jour régulièrement. Le comité de normalisation se réunit tous les 5 ans pour tenir compte de l’évolution technologique des équipements, des salles et des formats d’écoute.

Conclusion

La courbe X n'est certainement pas parfaite, sa méthode de mesurage non plus.
Il convient cependant de rappeler que l'introduction de la courbe a représenté une véritable révolution dans la gestion de l’écoute cinéma et a conduit à un progrès spectaculaire dans la qualité sonore des films.
Certains ont essayé d’autres techniques de correction, chacune avec son taux de validité et de superstition, mais personne n'a su apporter une meilleure méthode d’égalisation des salles de cinéma ni proposé de meilleur équipement pour y parvenir.

L’adaptation de la norme à différents volumes de salle et la formation systématique des personnels a permis de se rapprocher encore de l’écoute idéale. Si on compare aujourd’hui la courbe X aux disparités des haut-parleurs et les enceintes, on peut considérer que la courbe mesurée avec un bon vieil analyseur par tiers d’octave (quand on sait s’en servir bien sûr) reste un outil fiable qui a encore de longues années de vie devant lui.

Si vous pensez avoir découvert une technique susceptible de supplanter la courbe X, faites-le savoir.
L’Academy of Scientific & Technical Awards vous décernera un Oscar et vous pourrez même descendre Hollywood Boulevard sur les épaules de Ioan Allen (1) dans la liesse populaire.

(1) La courbe X a été établie d’après les travaux de Ioan Allen, ingénieur chez Dolby, au début des années 70.

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